La tortue et les oies

Un jour, un célèbre écrivain avait dit que la cité de Bénarès était plus ancienne que l’Histoire. Cette cité se trouve des deux côtés du Gange, la rivière sacrée, qui est, d’après les Hindous : l’essence divine du dieu Shiva. Les saintes rues de la cité sont peuplées de pèlerins, et où que vous tourniez la tête, vous voyez soit un temple, soit un sanctuaire.

Plusieurs siècles auparavant, il y avait un Roi à Bénarès. Ce roi n’aimait rien de plus au monde que le son de sa propre voix. Il avait vécu assez longtemps, vu maintes choses, lu beaucoup de livres, et rencontré beaucoup de merveilleuses personnes. Mais ses pensées radotaient, et son discours n’était jamais court. Lorsqu’un de ses généraux le questionnait sur une affaire militaire, il répondait de cette manière-là : « Que ferait Alexandre le Grand ? ». Et quand il avait terminé de raconter une anecdote de peu d’importance, il ne se souvenait plus de la question qu’on lui avait posé en premier lieu.

Un jour, alors que le roi se promenait dans le jardin de son palace, il trouva une tortue allongée sur le chemin. La pauvre créature était morte. Sa carapace était fracassée en plusieurs morceaux. Cette étrange découverte le rendit perplexe, car pour lui, c’était certainement un signe des Dieux. Cependant son esprit luttait au-dedans de lui pour en comprendre le sens.

Finalement, il appela le plus vieux et le plus sage homme de la cité de Bénarès, et lui demanda de lui interpréter le sens de cette découverte. Lorsqu’il vit la tortue brisée, le sage raconta l’histoire suivante … « Maître. Il était une fois une tortue qui vivait aux bords d’un magnifique lac. Elle passait ses jours à l’ombre des grandes herbes, et à grignoter les herbes juteuses. Or une année, les pluies ne tombèrent point pendant la saison et le soleil brûla la terre, qui devint de l’argile dure.

L’eau du lac diminua en petites flaques, puis disparut complètement. Les animaux qui étaient venus pour boire, maigrirent jusqu’à devenir des sacs d’os, et repartirent titubants, les pattes affaiblies. La tortue avait des affinités avec certaines oies du lac. Un jour, un couple d’oies vint lui dire adieu, car la troupe d’oies avait décidé d’émigrer vers l’Himalaya, à la recherche d’eau et d’herbe fraîche.

« Et qu’est que je vais devenir moi ? demanda la tortue. J’ai 100 ans, ma carapace est lourde et j’ai des petits pieds. Si je me mets à marcher à mon rythme toute la journée, je n’irais pas plus loin que le bloc de roche que vous voyez là-bas. Je vais devoir rester ici jusqu’à ce que je meure. » Les deux oies eurent pitié de la vieille tortue et acceptèrent de l’aider. Voici leur plan : elles porteraient un bâton à deux en volant. La tortue devra s’accrocher au bâton avec la bouche - et c’est de cette façon inhabituelle qu’elles le transporteraient vers des régions plus froids et humides.

Et c’est ainsi que la tortue se trouva en train de voler dans les cieux. C’était une sensation très inhabituelle, qu’elle eut le mal de l’air. Les autres oies du troupeau trouvaient la vue assez hilarante. « Hé regardez, dit une oie, une tortue qui s’envole ! On aura tout vu ! » « Mais non elle ne vole pas, dit une autre, elle mâche un bout de bois car elle a faim. » « Je suis sûre qu’elle serait plus à l’aise si elle abandonnait sa lourde carapace qui lui pend par-derrière », remarqua une troisième.

Les remarques ne cessaient point, parce que les oies n’avaient rien d’autre à parler que de la tortue et de sa manière très étrange de voyager. Et la tortue finit par en avoir assez. « Regardez-moi, dit la tortue, vous pensez que je me plais à faire ça ? » Et c’est alors qu’elle ouvrit la bouche. Elle lâcha le bâton et tomba. Elle tomba, tomba et tomba, jusqu’à ce qu’elle atterrisse sur le sol de mon Seigneur, ici dans le jardin de votre palais. »

C’était la fin de son histoire. En réponse, le roi se mit à parler longtemps sur l’hibernation des oies. Le sage l’écoutait avec patience, en se disant que le roi n’avait toujours pas compris la morale de l’histoire. Quand il eut l’occasion de s’adresser poliment au souverain, sans qu’il eût besoin de l’interrompre, il se dirigea encore une fois vers le cadavre et dit ces paroles :

« Et maintenant, maître puissant, retenez bien ceci. Veillez à parler avec sagesse, chaque parole en son temps. La tortue est tombée dans le piège de la mort. Elle parlait trop : voici la raison. » Enfin, le roi comprit que les dieux lui avaient envoyé un signe. Dès lors, il veilla à ne dire que les bonnes paroles nécessaires.

Fin

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