Maryam et Julie

"Ce n’est pas tout à fait l’heure de se lever, mais je suis réveillée, alors je reste encore un peu sous la couette, bien au chaud avec ma poupée Gertrude dans mes bras ; car je suis sûre qu’il fait froid dehors. On est encore en hiver et moi, je n’aime pas l’hiver : non seulement on se gèle mais en plus on est obligé de s’emmitoufler ce qui nous fait ressembler à de gros bonhommes Michelin.

Mais en attendant les beaux jours, il va bien falloir encore affronter le froid. Mais tu sais aujourd’hui, Gertrude, ce n’est pas tout à fait un jour comme les autres, aujourd’hui nous allons rencontrer d’autres enfants, on les appelle les migrants, ils vivent dans un camp à la sortie de la ville, ces enfants viennent de très loin, ils ont fui leur pays à cause de la guerre, certains avec leurs parents d’autres tout seuls.

Moi, je ne sais pas ce que c’est que la guerre, j’ai juste vu des images à la télé et Maman m’a un peu expliqué. Mais pour moi, c’est trop difficile d’imaginer ces maisons toutes cassées, tous ces gens vivant dans les ruines, leurs visages terrifiés, cela me fait très peur !"

Pendant que Julie réfléchit à la journée qui s’annonce, bien au chaud sous sa couette, Maryam, elle, ne peut pas paresser, sa vie ici est très difficile. Sa maison : une cabane faite de bois et de tente ne retenant ni le vent ni la pluie. Son terrain de jeu : de la boue, une zone affreuse. Mais Maryam est syrienne, elle a 6 ans, elle a fui son pays avec sa mère et a traversé tellement d’épreuves, avant d’échouer ici à Calais, en France, dans cette jungle comme on la surnomme. Cet environnement sinistre, elle ne le voit pas !

Car ici elle n’a plus peur : il n’y a plus de bombes, elle n’a plus ce bruit assourdissant dans les oreilles ; elle ne court plus se blottir dans les bras de sa mère à chaque bombardement pensant qu’elle va mourir comme tous ces gens qu’elle a vu tomber dans les rues ou succomber sous les gravats de leurs maisons. Non, elle ne ressent plus cette angoisse qui l’étreignait à chaque rafale de tirs, elle n’a plus autour d’elle cette vision d’un éternel chaos, murs déchiquetés, halo de poussière permanent !

Et pourtant, avant d’arriver ici, dans ce camp de fortune, elle en a encore subi des chocs et des traumatismes. Fuir la guerre à tout prix, partir sur des chemins sans savoir de quoi demain sera fait, abandonner tout derrière soi : son pays, ses amis, ses repères et marcher, marcher toujours plus loin, c’est très dur pour une enfant de son âge.

Alors Maryam veut oublier tout cela et croire en un avenir meilleur et au milieu de toute cette désolation il y a l’école : l’école c’est comme rentrer dans un livre d’images, un monde magique où tout s’arrête, une bulle protectrice où rien ne peut arriver, un endroit merveilleux où Maryam redevient comme toutes les petites filles de la terre. C’est pour cela qu’elle ne raterait pour rien au monde un jour d’école et encore moins celui d’aujourd’hui !

- "Julie, allez, cesse de rêvasser, c’est l’heure, il faut te lever ! Tu es toute bizarre, à quoi penses-tu ? -Eh bien tu sais, Maman, je me demande comment va se passer cette visite à l’école de la jungle ?

-Ne t’inquiètes pas, tout va bien se dérouler. Ces enfants, malgré tout ce qu’ils ont traversé, restent des enfants comme toi et je suis sûre qu’ils sont impatients comme toi de vous rencontrer ! Et puis n’oublie pas que la maîtresse apporte plein de choses : des livres, des cahiers, plein de fournitures que vous avez collectés, alors c’est un grand jour pour eux aussi !

Les enfants sont tous réunis dans la cour d’école et attendent le car qui va les conduire vers cette école de la jungle. Il y a de l’excitation dans l’air. Julie a retrouvé ses copines de classe et elle serre contre elle en cachette dans son cartable sa poupée Gertrude. Maryam, elle aussi, est prête pour se rendre à l’école du chemin des dunes ; cette école ne ressemble à aucune autre école car les maîtres y sont bénévoles et les enfants y sont libres de venir ou pas.

Mais Maryam y vient tous les jours et quand elle est là sous ces vilaines bâches noires battues par le vent, tout s’arrête et elle est heureuse. Elle rit, elle s’amuse avec les autres enfants et plus rien n’a d’importance ! Le car vient de s’arrêter et au signal des maîtresses, les enfants descendent et se rangent deux par deux. Mais au fur et à mesure que le rang se forme, le silence se fait car ce qui les entoure, les paralyse, les étreint ; on a eu beau les préparer à cette vision terrible, rien ne peut remplacer la réalité des choses !

Les enfants sont touchés et dans un silence de plomb, ils avancent mais les regards en disent long sur ce qui se passe dans leur cœur et dans leur tête. Tout à coup, comme une étincelle dans un trou noir, on perçoit un air, un chant qui monte, qui grandit et vient détendre la lourde atmosphère !

- "Oh ! mais je la connais cette chanson !" Julie commence à fredonner tout doucement, reprise par sa voisine puis par une autre et encore une autre pour devenir une seule et même mélodie qui accompagne à l’unisson l’école des dunes ! - "Voilà une belle manière de rentrer en contact.", se dit la maîtresse de Julie ! Et voilà le chœur de la classe de Julie qui arrive, accueilli par Mr Zimako , le fondateur de l’école des dunes.

- "Bienvenue à tous, bienvenue !" crient tous ensemble les amis de Maryam. Julie et ses petits camarades pénètrent dans l’école de fortune et découvrent émerveillés qu’elle n’a rien à voir avec ce qui se passe dehors. Ici tout est coloré : il y a des dessins partout suspendus à des fils par des pinces à linge, de grandes affiches aussi et de nombreux casiers avec des livres et des jeux, en fait une salle de classe comme toutes les autres !

- "Bonjour à tous, nous sommes heureux de vous accueillir ici dans notre modeste petite école et de vous faire partager un moment de notre quotidien. Les enfants peuvent s’asseoir à côté de chaque enfant de l’école des dunes et ainsi ils feront connaissance."

Julie s’avance avec les autres, un peu intimidée à l’idée de se placer à côté de quelqu’un qu’elle ne connaît pas. Tous les sourires sont là, alors elle prend confiance et s’assoit près de Maryam ; les deux enfants s’observent tranquillement.

C’est au tour de la maîtresse de Julie d’intervenir : - "Nous sommes heureux nous aussi de partager ces quelques moments avec vous et nous tenions à montrer à nos petits écoliers que quelque soit le lieu et les circonstances, l’école est une parenthèse précieuse pour tous les enfants de la terre et nous venons vous apporter, au nom de toutes les écoles de notre ville, des fournitures, des jeux et des jouets." - "Merci à tous et maintenant place aux enfants !"

Mr Zimako distribue des feuilles, des crayons de couleur et explique que chacun fera un dessin pour son voisin. Julie écrit son prénom en haut de la feuille et explique à Maryam qu’elle s’appelle ainsi, Maryam le fait à son tour : l’échange est lancé et elles vont communiquer par des gestes, par des petits mots que connaît Maryam tout au long de leur dessin.

Julie a dessiné sa maison, son jardin , Maryam, elle, sa poupée, qu’elle a perdue pendant son long voyage d’exode ! Puis les maîtres ont organisé des jeux, les enfants ont beaucoup ri et ils ont chanté tous ensemble en se donnant la main et formant une belle ronde ! L’après-midi a défilé vite, on ne l’a pas vu passer, l’heure du départ est proche.

Les enfants sont désormais assis avant que la maîtresse donne le signal. Julie a le cœur qui bat très fort car elle vient de prendre une grande décision; elle sait qu’elle va avoir du mal, mais elle sent au fond d’elle-même que son geste est bon. Elle glisse discrètement la main dans son cartable, saisit sa poupée Gertrude et la pose délicatement sur les genoux de Maryam en lui disant : - "Voilà Gertrude, ma poupée de toujours, elle est pour toi, je sais qu’elle ne ressemble pas à la poupée que tu as perdue mais j’espère qu’elle la remplacera dans ton cœur !"

Maryam est tellement surprise qu’elle reste pour un instant sans voix ! Puis son visage s’illumine: "Merci !", dit-elle en mettant la main sur son cœur. L’émotion est forte, les deux petites se tiennent par la main. Tous les enfants se lèvent, c’est l’heure, mais un lien indestructible s’est scellé, Maryam et Julie n’oublieront jamais cet après-midi là, il restera gravé à jamais dans leur mémoire !

Fin

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