Une enfance en rouge et or Vol.4

Revenu à la maison, le groupe, excepté Belle et Tiky qui s’étaient allongés à l’ombre du grand mûrier-platane près de la tonnelle, entra dans la cuisine. Il y retrouva Nanette en train de préparer une citronnade. Anna posa leur trophée sur la table. Sa grand-mère s’exclama : «  Trois œufs ! Super ! Avec ceux que nous avons déjà, nous en avons pour un repas !  » Pendant leur tournée, Nanette avait préparé pour le repas du midi une salade, composée de légumes du jardin, dont ils se délectèrent à manger sous la tonnelle.

L’après-midi, au plus fort de la chaleur, tandis que Nanette lisait au salon, à demi allongée sur son relax et que Papy Germain faisait la sieste dans sa chambre, les enfants restèrent jouer dans la chambre d’Anna. Ils sortirent des sacs quelques uns des nombreux jeux qu’ils avaient apportés. Ils s’amusèrent aussi avec les jeux que les grands-parents laissaient à la disposition de la fillette lors de ses séjours chez eux. Certains de ces jeux et jouets avaient d’ailleurs appartenu à Hélène, sa maman, lorsqu’elle était enfant. Les matins suivants furent basés sur le rituel de l’entretien des animaux de la basse-cour, tantôt avec Papy, tantôt avec Nanette, parfois avec les deux. Les activités de l’après-midi variaient un peu.

Ainsi, à la demande de sa petite-fille, Papy avait installé sur l’herbe une piscine souple et pliable restée rangée dans son atelier. La dernière fois qu’il l’avait dépliée, c’était lors du dernier long séjour de la fillette chez eux, quatre ans auparavant. Elle n’était pas très spacieuse, mais les enfants s’amusaient à s’y asperger à la période la plus chaude de la journée. Tiky s’en éloignait, tandis que Belle tournait autour en quête d’éclaboussures, puis se roulait dans l’herbe humide pour se rafraîchir. De temps à autre, elle sautait dans tous les sens pour essayer d’attraper la balle avec laquelle les enfants jouaient dans l’eau.

Un peu avant le repas du soir, pris bien plus tardivement qu’ils en avaient l’habitude le reste de l’année, les grands-parents emmenaient les enfants, talonnés par Belle, se promener hors de la propriété. Ils longeaient la route très peu fréquentée, sur une centaine de mètres et s’introduisaient sur les sentiers alentour. Les deux adultes nommaient successivement pour les enfants les arbres, plantes et fleurs qu’ils apercevaient. Ils leur commentaient chaque cycle où la verdure, la floraison, l’arrivée à maturité ou même la perte des feuilles apparaissait suivant les saisons. Anna, habituée avec eux depuis sa petite enfance à reconnaître certaines variétés, répondait le plus souvent par la positive lorsqu’ils la testaient. Anton écoutait, silencieux. Parfois, à sa demande, il répétait les noms qu’Anna avait fièrement trouvés. Ils rentraient en ayant quelquefois ramassé ou cueilli une petite merveille que la nature leur offrait et dînaient dehors à la fraîcheur de la fin de journée.

Au matin du 7 juillet, quelques jours à peine après l’arrivée des enfants dans la vallée, la sonnerie du téléphone retentit. Anna, voyant ses grands-parents occupés sous la tonnelle, se pressa de répondre. Il s’ensuivit une longue conversation à cinq voix : «  Allô ! - Ah, c’est toi Anna, bonjour ma chérie, c’est maman ! Joyeux anniversaire mon cœur ! Comment vas-tu ? - Coucou maman, merci ! Je vais bien et toi ? Et papa, il est avec toi ? - Mais bien sûr ma chérie, il est à côté de moi, tout va bien ici, je vais te le passer. Mais dis-moi d’abord si tout se passe bien avec Papy et Nanette !

- Oh oui, maman ! Ils sont tous les deux très gentils avec nous. Comme il fait très chaud, Papy nous a mis la piscine qu’il avait achetée quand j’étais plus petite et je m’amuse super bien avec Anton. - Parfait ! Je t’embrasse bien fort mon cœur, je te passe papa. - Allô, bonjour ma chérie, joyeux anniversaire ! - Bonjour papa, merci ! - J’ai compris que tout allait pour le mieux, alors je t’embrasse aussi bien fort et fais un gros bisou de ma part à Nanette, Papy et Anton ! Je te repasse maman car je dois partir pour une urgence. - Recoucou ma chérie, dis-moi, Nanette et Papy sont près de toi ?

- Attends ! ils sont dehors, je les appelle : Nanette ! Papy ! il y a maman au téléphone ! - Oh, nous arrivons ! s’exclama Nanette. Nanette, ayant surgi la première, prit le combiné qu’Anna, n’arrivant pas facilement à se détacher de sa mère, s’efforça de lui tendre : - Allô, Hélène ! Bonjour ma chérie ! - Bonjour maman ! Comment allez-vous, papa et toi, pas de problème particulier, les enfants ne vous fatiguent pas trop ? - Non, non, ne t’inquiète pas ! tout va bien ici, les enfants sont adorables et je trouve qu’Anton s’est bien adapté. Anna a beaucoup de patience avec lui, elle a tendance à tout lui réexpliquer. Et vous le travail ?

- Beaucoup de travail, nous avons repris un rythme accéléré mais nous sommes aussi bien relayés. Tant mieux si tout est o.k. chez vous et papa, il est à côté de toi ? - Allô, Hélène, alors comment vas-tu ? demanda le grand-père, impatient, s’étant saisi du téléphone que Nanette lui tendit. - Très bien papa, chez vous aussi apparemment, tant mieux ! - Oui, oui, les enfants sont très agréables. Et pour vous, pas trop dur ? - Repartir a été difficile, Anna nous manque déjà. Mais nous avons beaucoup d’enfants malades à soigner ici. Le temps alloué à chacun est insuffisant pour les réconforter. Nous faisons de notre mieux.

- Patrice est avec toi ? - Non, il vient de repartir car il a été appelé aux urgences. Il vous embrasse tous bien fort. Je dois vous laisser aussi, nous rappellerons dans quelque temps.  » Anna avait déjà rejoint Anton, qui n’avait pas souhaité se joindre à la conversation et qui jouait avec la chienne. Elle était contente d’avoir reçu cet appel mais aurait préféré que ses parents soient avec elle pour ses dix ans.

Les grands-parents essayèrent de compenser cette absence en lui concoctant une belle journée d’anniversaire. Au menu de midi, un bon gâteau chocolaté surmonté de dix bougies remplaça occasionnellement le dessert type. Puis ils lui offrirent les cadeaux soigneusement cachés avant son arrivée. En plus de ceux de Papy Germain et Nanette, la fillette reçut ceux que ses parents leur avaient confiés pour cette journée spéciale. Parents et grands-parents avaient eu aussi une petite pensée pour Anton en lui achetant un petit cadeau afin qu’il ne se sente pas trop exclu de la fête. Le garçon exprima son bonheur par un large sourire et des remerciements encore un peu timides. La journée se passa dans la joie et les enfants, autorisés à veiller un peu plus tard en cette fin de journée exceptionnelle, s’endormirent épuisés.

Les vacances se poursuivaient toujours aussi agréablement et tranquillement. Les enfants allaient parfois cueillir des fruits mûrs dans le verger. Papy Germain en profitait alors pour leur faire connaître les diverses variétés existantes. Ils récoltaient aussi certains légumes du potager pour la préparation du repas du jour, sur demande de Nanette. Cette dernière en profitait pour leur donner des consignes tendant à les responsabiliser. Ils suivaient ses recommandations à la lettre. Ils prenaient soin de vérifier si, comme elle leur avait soigneusement expliqué, les plantes potagères étaient bien arrivés à maturité avant de les détacher ou de les extirper. Les deux enfants apprenaient beaucoup de l’expérience des grands-parents sur la nature et sur la manière dont ils savaient observer celle-ci.

La fillette les adorait et s’était toujours sentie bien avec eux. Elle leur témoignait une gentillesse sans faille. Cet été là, elle décida tout de même de profiter de la présence complice d’Anton pour faire ressurgir un peu sa nature espiègle. Bien sûr, cette tendance à l’espièglerie ne se voulait jamais méchante, juste taquine. Quelques jours après son anniversaire, elle entraîna donc le garçonnet dans ses petites farces élaborées à l’intention de Papy Germain et de Nanette. Ainsi un jour, en début d’après-midi, elle sut que son grand-père avait prévu de se rendre un peu plus tard dans l’enclos de Canaille et Oisine. Il devait y terminer la réparation commencée tôt le matin. Elle prétexta alors aller cueillir des fruits avec Anton à qui elle demanda de la suivre. Ils se rendirent en premier lieu au poulailler. A l’intérieur, elle fut contente de trouver deux beaux œufs pondus récemment. Elle les prit délicatement et dit au garçon, resté hors de l’enclos :

«  S’il te plaît, peux-tu m’ouvrir et refermer ensuite le portail ? On va bien rigoler tout à l’heure, viens !  » Anton ne comprenait pas où elle voulait en venir. Tenant toujours dans ses mains les deux œufs, elle entraîna le garçonnet devant le parc des oies et lui demanda une nouvelle fois de bien vouloir lui ouvrir le portail. Le petit la regardait faire, silencieux. Une fois entrée, elle les déposa dans un recoin pour que les oies n’aillent pas les piétiner. Mais elle le choisit suffisamment visible pour rendre la chose la plus naturelle possible. Elle espérait ainsi que son grand-père les trouve facilement.

Le garçon saisit enfin ce que son amie réservait au grand-père. Il se mit à rire en agitant une main devant lui, jugeant ainsi du degré de la nature de cette farce. Il s’y trouvait donc à présent associé malgré lui. Mais son esprit enfantin reprenant le dessus, il se sentit alors impatient de la voir aboutir. Avant de reprendre le chemin de la maison, ils firent une halte au verger afin d’y cueillir quelques fruits mûrs comme prévu. Au retour, ils croisèrent le grand-père qui s’apprêtait déjà à reprendre son ouvrage du matin. Ils lui firent alors en passant un large sourire, contenant leur soudaine envie d’éclater de rire. Ils rentrèrent et attendirent discrètement, comme si de rien n’était.

Moins d’une heure plus tard, entrant dans la cuisine où Nanette finissait de ranger ce qu’il restait du goûter des enfants, Papy Germain s’exclama : «  Regarde, Nanette, ce que les oies ont pondu ! Nous avons bien fait de ne pas tuer ces bêtes pour les manger. Ces œufs sont encore petits, mais bientôt les oies en pondront de bien plus gros, j’en suis sûr. En disant cela, il avait pris soin de s’exprimer suffisamment fort pour que les deux gamins, jouant sous la tonnelle, l’entendent.

Anton regardait son amie, sans vraiment arriver à interpréter la situation. Anna lui fit signe de ne pas se manifester encore. Elle riait sous cape attendant la réponse de sa grand-mère qui ne tarda pas à parvenir : - Oh, eh bien, je trouve que ce sont quand même deux beaux œufs, les poules n’en pondent pas d’aussi beaux ! Nous les préparerons à la coque pour les enfants, ils le méritent bien ! Suite à cette réponse, la fillette indiqua au garçon qu’ils pouvaient à présent se montrer. - Je reconnais bien là l’esprit farceur de notre petite Anna, dit Papy en voyant apparaître les enfants sur le seuil de la cuisine.

- Eh bien, Anton, en plus du français, tu vas apprendre à jouer des tours ! Tu ne dois surtout pas suivre l’exemple d’Anna car c’est une petite coquine !  recommanda Nanette au petit garçon, en plaisantant. La fillette prit l’air amusé en s’apercevant de la gêne d’Anton. - Ma grand-mère plaisante, Anton ! Ne fais pas cette tête ! C’était trop rigolo, on s’est bien amusé, hein ? - Oui !  » répondit-il simplement, n’osant regarder en direction des adultes, par crainte de se voir mal jugé.

L’après-midi finit de s’écouler paisiblement laissant place au rituel des journées et soirées de l’été. Néanmoins, Anna ne put s’arrêter de se mettre à pouffer de temps à autre jusqu’à l’heure du coucher. Elle repensait sans cesse au regard gêné qu’avait occasionné sa farce sur le garçon vis-à-vis des grands-parents. Il s’était retrouvé complice malgré lui, pris au piège de son espiègle fantaisie. Le grand-père, qui était philatéliste à ses heures, collectionnait depuis plus de quarante ans des timbres postaux de nombreux pays et possédait des albums magnifiques. Des merveilles ! Il conservait, précieusement réunies à cet usage dans une boîte, plusieurs pinces destinées à leur soigneuse et minutieuse manipulation. C’est ainsi que quelques jours après l’épisode des œufs supposés des oies, Anna eut l’idée de faire une nouvelle blague à celui-ci.

En cachette de ses grands-parents occupés ailleurs et même d’Anton, resté un instant dans sa chambre, elle prit un des albums. Cette fois, elle choisit de ne pas mettre le petit garçon dans la confidence. Elle extirpa, volontairement mais précautionneusement un timbre roumain et l’échangea contre un timbre rouge français classique à l’effigie de Marianne. Le timbre en question faisait partie à l’origine de ceux apposés sur les lettres que sa maman adressait à ses grands-parents. Cette dernière complétait toujours les nouvelles données par téléphone de Roumanie où elle séjournait pour le travail, en leur adressant du courrier. Ce jour-là, la fillette dit à son grand-père : «  Papy, est-ce que tu veux bien que je montre à Anton ta collection de timbres ? Je crois qu’il n’en a jamais vus !

- Bien sûr, mais faites très attention !  répondit-il, assez fier que les enfants s’intéressent à sa passion. La petite fit donc exprès de saisir en premier lieu l’album contenant le timbre rouge. Pendant qu’Anton et Anna regardaient la collection assis sur le canapé du salon, Papy, debout derrière eux, commentait la provenance de certains de ces petits chefs-d’œuvre. Outre ceux que Nanette et lui avaient personnellement reçus, il en achetait régulièrement afin de compléter les séries commencées. Lorsqu’ils arrivèrent à la page de la substitution, il interrompit net son commentaire et bafouilla ensuite un instant à voix basse en se parlant à lui-même. Puis, reprenant rapidement ses esprits, il s’adressa à la fillette :

- Dis-donc, Anna, j’espère au moins que tu ne l’as pas abîmé car, dans le cas contraire, je me verrai dans l’obligation de me fâcher pour de bon, cette fois. Tu sais très bien à quel point je tiens à ma collection ! Il avait terminé sa phrase en haussant le ton. Le garçon n’osait regarder en direction du grand-père craignant que celui-ci fasse allusion à une certaine connivence avec Anna. Il aurait été embarrassé d’être accusé à tort. - Mais non, Papy, il n’est pas abîmé mais je t’ai encore bien eu ! s’exclama la gamine, l’air amusé. Papy Germain se mit à jurer contre sa petite-fille : - Cette enfant est une petite peste !

- Tiens, Papy, j’ai bien fait attention ! En disant cela, se retenant de rire, elle lui tendit délicatement le fameux timbre ainsi qu’une pince qu’elle prit dans la boîte correspondante. - Heureusement que je t’ai bien enseigné à manipuler les timbres avec précaution, sinon je préfère ne pas imaginer dans quel état je l’aurais retrouvé ! Bon allez, oust ! tous les deux, vous les regarderez un autre jour !  »

Anton promenait son regard de l’un à l’autre et ne savait trop que penser du mécontentement de l’adulte. Ce dernier n’avait pas ménagé Anna. Mais elle ne semblait pas perturbée. Les sottises de la fillette étaient destinées à le faire rire mais cela avait pour effet d’augmenter sa gêne envers ses hôtes qu’il trouvait si gentils. Privé de famille, il ne percevait pas ce lien si particulier qui unissait la petite-fille à son grand-père. Les bêtises d’Anna étaient toujours anodines Jamais elle n’aurait eu la malice de mettre ses grands-parents dans l’embarras. Elle les connaissait bien et savait qu’ils finissaient toujours par entrer dans son jeu. En revanche, le garçon était face à l’inconnu et se sentait parfois mal à l’aise suivant la situation provoquée par la fillette.

Fin

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