Une tendre amitié Vol.3

Une amitié grandissante Les semaines passèrent. Février était déjà là et l’heure du carnaval approchait. Dans le village, tous les commerçants s’employaient à rendre cette période aussi gaie que possible, comme ils le faisaient pour les fêtes de fin d’année. Masques et fleurs encombraient volontairement toutes les vitrines. Bérangère et Tanguy grandissaient, abandonnant un peu au fil des jours l’insouciance de la jeune enfance. Leur amitié n’avait cessé de croître depuis leur rencontre quelques mois auparavant.

Le garçonnet recevait régulièrement les visites et les soins d’un médecin. Quand ils étaient tous deux, leur seule préoccupation était d’essayer de faire réagir les membres inférieurs de l’enfant ; mais leur persévérance simultanée n’avait pas encore suffisamment porté ses fruits. La fillette, de son côté, avait reçu les félicitations de sa maîtresse pour sa performance scolaire. En effet, depuis la rentrée des classes, ses résultats n’avaient cessé de briller et elle excellait dans toutes les matières, faisant la fierté de ses parents.

Le jour du défilé du carnaval, la cavalcade des chars était prévue à travers toutes les rues du village, même celle de Tanguy, un peu excentrée. Marthe porta l’enfant jusqu’à l’extérieur car la demeure se situait merveilleusement pour permettre de contempler, un à un, de la grille du jardin, ces petits chefs-d’oeuvre fleuris où des enfants déguisés étaient montés. Réunis pour ce spectacle, Bérangère et Tanguy ne tardèrent pas à se retrouver assaillis de confettis jetés en tous sens par les passants. La journée fut, comme à l’accoutumée, des plus réussies depuis que les gens du village célébraient leur carnaval.

Avec l’arrivée de mars, les beaux jours ne semblaient plus être très loin ; les journées s’allongeaient peu à peu, les nuits s’éclaircissaient, moins profondes, le printemps était imminent. Puis, les fêtes pascales d’avril annoncèrent le retour du grand soleil ; les polos commençaient à remplacer les pull-overs et les gilets succédaient aux manteaux. Il est vrai que le renouveau des beaux-jours sème toujours la joie dans le cœur des gens. Les parents s’aperçoivent plus encore à ce moment-là que leurs chers petits anges ont tellement changé et grandi que, tout comme leur garde-robe devenue décalée, leur attitude paraît aussi différente. C’est ainsi que Bérangère et Tanguy n’avaient pas échappé à la règle ; même le petit Grégoire ne ressemblait plus vraiment au bébé qu’il était encore quelques mois auparavant.

L’espoir En ce matin de vacances, se rendant comme fréquemment chez son camarade, Bérangère vit démarrer devant chez lui une voiture dont le pare-brise portait un insigne médical. Un médecin sortait donc de la maison du jeune garçon… La fillette, intriguée, s’empressa de sonner à la grille. Tanguy était-il malade ou ce médecin, était-il venu prendre des nouvelles de la rééducation par le « kiné » ?, c’est en tout cas ce que se demanda l’enfant en entrant. A peine avait-elle gravi les dernières marches du grand escalier qu’elle aperçut le garçonnet qui l’attendait avec un grand sourire aux lèvres.

« Bonjour ! que se passe-t-il , s’enquit-elle, tu as l’air si content ! ˗ Il y a de quoi être satisfait, pour la première fois en quinze mois, j’ai pu me lever de mon fauteuil, pas longtemps, bien sûr, seulement quelques secondes, mais le docteur m’a certifié que c’était un très bon signe et qu’avec beaucoup de courage et de volonté, je progresserai et peut-être que… d’ici plusieurs mois encore, je pourrai marcher avec l’aide de béquilles, ajouta-t-il exalté. ˗ Génial ! lança Bérangère émue à son tour ; nous pourrions aller nous amuser au grand air, ce serait merveilleux.

˗ Tu sais, maman et Chloé vont venir passer quelques jours ici. Elles arriveront après-demain. Je suis pressé de les revoir. Ma petite sœur me manque énormément. ˗ Je te comprends. Pour ma part, je ne pourrais me passer de Grégoire aussi longtemps sans me languir de lui. » Les enfants se séparèrent un peu plus tard dans la matinée, le cœur chargé d’espoir qu’une telle nouvelle avait fait naître.

Madame DANIEL et Chloé arrivèrent comme prévu le surlendemain. Tanguy et Marthe n’avaient rien dit au téléphone, pour réserver la surprise à la maman concernant les progrès grandissants de son fils. « C’est merveilleux, merveilleux ! s’exclama la maman les larmes aux yeux. Tu ne peux pas savoir comme ce que tu me dis là me rend heureuse. Je vais rencontrer rapidement le docteur SIMON ; je vais lui téléphoner aujourd’hui même pour qu’il me donne tous les détails médicaux sur tes progrès. » Un rendez-vous rapide eut lieu au cabinet du médecin le lendemain avec la mère du garçon.

Le docteur rassura la maman mais se lança dans des explications : « Restons tout de même très prudents et lucides, ne nous emballons pas trop vite ! Considérons ce progrès inattendu de votre fils comme un exploit qui peut ne pas se renouveler de suite. Il faut savoir qu’il lui faudra encore beaucoup et beaucoup de courage et de patience ; voyez-vous, il se trouve dans une période de préadolescence où l’échec est mal perçu dans son amour-propre ; il se métamorphose physiquement et, comme tous les jeunes garçons de son âge, il garde l’espoir de devenir un jeune homme vigoureux ; encouragez-le, certes, mais ne lui montrez pas une déception si ses efforts restent vains un certain temps. ˗ Bien sûr, Docteur, mon vœu le plus cher est qu’il recouvre tôt ou tard l’usage de ses jambes. Il faut attendre et espérer.

˗ Bien ! fit le docteur, combien de temps comptez-vous rester ? ˗ Je ne sais pas encore exactement, dix à douze jours. ˗ Je passerai la semaine prochaine pour l’ausculter. » Ils se saluèrent et Madame DANIEL reprit le chemin de la vieille demeure, l’esprit un peu troublé. Par la suite, remise de ses émotions, elle téléphona à son mari qui, ému à son tour, partagea sa joie.

La victoire L’été venu, Tanguy, toujours motivé, s’efforçait chaque jour un peu plus longtemps de rester levé de son fauteuil. Lenny, le « kiné » qui le suivait, semblait, lui, toujours aussi surpris de la volonté du garçon de se surpasser. Les grandes vacances, enfin arrivées pour le bonheur d’un grand nombre, s’annonçaient radieuses pour les deux complices qu’étaient Bérangère et Tanguy. Marthe assistait chaque jour, de près, aux progrès du garçon. Avec Bérangère elles étaient les deux plus proches témoins de ces progrès. Mais Tanguy, parfois secret pour ne pas donner de fausse joie sur son état, cachait à son entourage certains points positifs qu’il vivait pendant sa rééducation.

Le garçon allait bientôt fêter ses douze ans et rêvait de surprendre tout le monde autour de lui pour l’occasion. Il avait déjà imaginé une situation de joie mêlée de fierté. « Je dois y arriver » répétait-il dans sa tête inlassablement, « je vais me lever, tenir sur mes jambes et même faire un pas, puis deux… ». Encore perdu dans ses pensées, il n’entendit pas Bérangère monter à l’étage. Lorsqu’elle fut près de lui, elle remarqua son air songeur et le fit sortir de ses pensées en lui déposant sur les genoux le jeu qu’elle lui avait promis d’apporter.

« Excuse-moi, je ne t’ai pas entendu arriver ; mais il est déjà quinze heures ? questionna-t-il; ˗ Quinze heures quinze, je suis même un peu en retard. Tu t’es endormi ? ˗ Euh… non, je réfléchissais à mes prochaines études , répondit-il, ne voulant pas lui dévoiler son petit jardin secret. ˗ On joue ? ˗ On joue. ». Il s’empressa de déballer le jeu et ils commencèrent une partie.

Les parents de Tanguy arrivèrent avec sa petite soeur à la fin juillet, ce qui laissa au garçon le temps de se préparer au mieux pour le « tour de magie » qu’il voulait faire à sa famille. Réunis pour le dîner d’anniversaire, Tanguy, ses parents, Chloé, Marthe et Bérangère qui était invitée, discutèrent surtout des activités effectuées par les deux enfants durant le mois. Et puis Chloé se mit à décrire ses premières semaines de vacances passées au centre de loisirs parisien.

A la fin du repas, Marthe apporta à table un gros gâteau fait de génoise et de mousse aux fruits de saison, surmonté de douze bougies, sur lequel était inscrit en pâte d’amande « Très joyeux anniversaire ». Une fois les bougies soufflées, Tanguy reçut plusieurs paquets recouverts de jolis papiers multicolores et habillés d’une cascade de rubans brillants. Il les ouvrit gaiement un à un, heureux de cette fête dont la douceur de l’été rajoutait au charme. La découverte de ses cadeaux terminée, les remerciements effectués et les bises échangées, il s’exclama : « A mon tour de vous faire une surprise ! »

Tous les yeux étonnés rivés sur lui, il manipula son fauteuil roulant pour s’écarter un peu de la table et dit à nouveau : « Regardez ! » Il s’agrippa de toutes ses forces aux bras du fauteuil, réussit à se lever, fit un pas en avant et s’appuya sur la table pour se retenir. Un « Oh ! » de stupéfaction se répandit dans la pièce. Interloqués devant ce spectacle imprévu, tout le monde resta un court instant sans bouger ; le garçon se débrouilla pour se rasseoir rapidement dans son fauteuil en basculant son dos et se laissant aller en arrière. Il y parvint juste au moment où sa maman, ayant repris ses esprits, se précipita vers lui. Elle l’embrassa.

« Comme je suis heureuse, heureuse, répéta-t-elle ; tu es un cachotier ; c’est sûrement le début d’une nouvelle aventure pour toi, c’est merveilleux. » Chacun à son tour félicita le garçon. Bérangère était heureuse pour son meilleur ami. C’était le plus bel anniversaire auquel elle avait été invitée.

Les progrès de Tanguy, aidé de Lenny, furent de plus en plus rapides et presque miraculeux. Durant la nouvelle année scolaire qui suivit ce magnifique été, le garçon resta encore dans la grande bâtisse pour la plus grande joie de Bérangère. Il ne pouvait repartir qu’en ayant entièrement retrouvé son autonomie. La fillette entra au collège pour la première année mais ne manqua pas de retrouver son ami dès que l’emploi du temps lui permettait. Elle faisait quelquefois ses devoirs auprès de lui et il arrivait parfois au garçon de la faire réciter ou de l’aider puisqu’il avait déjà étudié le programme de la sixième par correspondance.

L’année passa, les efforts de Tanguy furent payants. Une ambulance venait le chercher trois matinées par semaine pour l’emmener vers un centre de rééducation. Là, il pouvait s’exercer à forcer différemment sur ses jambes grâce à des appareils. Lenny continuait aussi à venir régulièrement à la bâtisse pour lui faire des massages et l’aider à se remuscler. C’était sans relâche sauf le dimanche et Tanguy ne baissait pas les bras. Il voulait à nouveau devenir entièrement autonome et il s’y appliquait.

Et après de longs mois à être resté séparé de sa famille, il finit par y parvenir. Bien sûr, pour courir, il devrait encore attendre, mais l’essentiel pour lui et son entourage était de se lever et marcher. Des gestes simples et naturels pour les autres qu’il a dû réapprendre petit à petit. Les fêtes de fin d’année se passèrent une nouvelle fois dans la joie avec les retrouvailles de sa famille au complet, sa maman faisant quelquefois le voyage pour le voir. A chacune de ses venues, elle se rendait compte des progrès énormes de son fils. Elle était fière de lui et de sa volonté à progresser. Les parents du garçon revirent ceux de Bérangère. Une amitié s’était également installée entre eux.

Les jours passèrent, encore et encore. L’année scolaire terminée, Tanguy marchait enfin seul, s’aidant des béquilles lorsqu’il se sentait trop fatigué. Il demeura encore dans la jolie bâtisse de pierre pour les grandes vacances et profita des beaux jours ensoleillés du Sud avec Bérangère. Les parents de la fillette, accompagnés de celle-ci et du petit Grégoire, l’emmenaient régulièrement avec eux pour des sorties dans la région. A présent, il n’avait plus besoin du fauteuil roulant et pouvait apprécier pleinement ces sorties à l’extérieur du petit village.

Le cœur gros, les deux enfants se dirent au revoir à la rentrée des classes suivante, après deux belles années passées à se côtoyer. Tristes de se séparer, ils promirent de se contacter et de se revoir le plus souvent possible. Epilogue Aujourd’hui devenus jeunes adultes, Bérangère et Tanguy ont gardé cette amitié vécue dans leur enfance. Restés les meilleurs amis du monde, ils passent le plus souvent possible leurs vacances ensemble et reviennent dans ce si joli village qu’ils adorent. Ce village du Roussillon où, enfants, ils ont commencé leur belle et tendre amitié.

Fin

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